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loges, — à l’avocat Ariette, plus jaune que tout à l’heure ; à sa femme, chaste toujours et magnifiquement impassible après l’infidélité publique de son amant ; aux Abel, décemment attentifs au spectacle… La jeune fille, pareille à un sphinx, était tellement immobile que la pensée revint à Fierce d’une statue d’albâtre aux yeux de diamants incrustés.

— « Mon cher, dit-il à Mévil, près de partir, tu as vraiment tort de dédaigner cette enfant-là. Elle vaut largement la plus jolie femme de la salle.

— La petite Abel ? railla Mévil. Tu en as de bonnes ! »

Cependant, il regarda, dédaigneusement.

Ne l’avait-il jamais considérée et fut-il étonné d’une beauté peu commune imposée à ses yeux ? Fut-il pas plutôt, comme il le prétendit ensuite, ébloui jusqu’à la stupeur par l’arc voltaïque d’une lampe fixée machinalement ? Il parut changé en pierre. Plus rien de son corps ne bougea. Sa main, que serra Fierce, pendit insensible. Il fallut le frapper pour qu’il revînt à lui.

Ses deux amis le regardaient avec inquiétude ; il baissa sur eux des yeux troubles, embués.

— « C’est idiot, » souffla-t-il, d’une voix imperceptible.

Il passa sa main sur son front et gagna la porte sans plus rien dire.

Mais, dehors, il parla d’un ton naturel et comme si rien n’était.

— « Au fait, oui. Elle n’est plus si petite fille que ça. Elle fera une très jolie madame. »