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crevée comme du papier, s’effiloche ; et cela fait un second trou, un trou-soupirail ouvert sur les soutes à charbon, lesquelles ceinturent les chaufferies d’une cuirasse noire. La mer passe et noie le charbon.

Troisième tôle, qui sépare les soutes des chaufferies. Ici, c’est le cœur vivant du navire ; la tôle enveloppe ce cœur comme une poitrine. Or, voici qu’elle ploie et se fend ; — rien qu’une petite fente ; mais au cœur, coup d’épingle vaut coup de hache. La mer se glisse, avec un mince gargouillement de fontaine.

La chaufferie babord-milieu. — Huit chaudières alignées devant un couloir où la houille concassée s’entasse. Vingt-six hommes demi-nus travaillent âprement, brandissant leurs lourdes pelles, et lançant à toutes volées le charbon sur les grilles flamboyantes. Des lampes, dont la blancheur électrique jure avec l’éclat sanglant des foyers, pendent au plafond. Une échelle d’acier descend verticale de la porte, une trappe fermée, — boulonnée.

Ils ont entendu l’explosion, les chauffeurs. Le contre-coup les a jetés bas comme des capucins de cartes. Ils se relèvent, meurtris, et ils voient l’eau, — l’eau mortelle qui jaillit de la muraille. Alors, dans la chaufferie close, d’où l’on ne sortira pas, où il faut crever comme des chiens la pierre au cou, c’est une scène indicible d’horreur.

Les hommes, tous ensemble, se sont rués sur