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chose rouge qui pend, — la main mal arrachée. Cela ne fait pas de mal, pas encore. Mais le sang gicle, et Fierce comprend qu’il va mourir. Alors il se relève d’une secousse, et, de toutes ses forces, il crie :

« Feu ! »

La torpille chassée du tube s’élance. Et dans l’instant qui suit, un obus frappe droit dans le tube, le brise, sillonne le torpilleur de l’avant à l’arrière et éclate dans la chambre des machines. Pêle-mêle s’émiettent les bielles, les hommes et les cylindres ; des cris, des détonations, des sifflements se mélangent ; et du 412 foudroyé jaillissent de grands jets de vapeur que les faisceaux électriques éclairent violemment, comme des nuages d’apothéose.

Déchiré de la hanche à l’épaule, assommé comme un bœuf sous la massue, abattu dans une mare de sang, de son sang qui coule comme l’eau d’une éponge, Fierce, quand même, entend le hurrah des canonniers anglais triomphants ; et la certitude de son désastre sans revanche lui enfielle le cœur d’une désespérance dernière, cependant qu’il meurt peu à peu.

Là-bas, sur l’ennemi vainqueur, les canons ne cessent pas leur clameur de mort. Maintenant qu’on est tout près, c’est comme une symphonie prodigieuse où chaque pièce lance éperdument sa note réitérée. Sur le roulement de tambour des mitrailleuses, la gamme sèche des canons de trois pouces dessine des arabesques folles, et le rugissement plus grave de l’artillerie moyenne y plaque sans relâche des