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déjà, n’avait plus en lui l’énergie qu’il fallait pour être violent.

Il chassait deux proies, et ne savait pas lâcher l’une pour forcer l’autre. Elles l’entraînaient, — acharné, fou, — sur deux pistes différentes : Mme Malais lui représentait un idéal sensuel jamais atteint encore, Marthe Abel remuait en lui des fibres qu’il ne connaissait pas, et qu’il s’épouvantait de sentir vibrer : des fibres mystiques et superstitieuses, — les fibres d’un amour blême et glacé, — mortel. — Il pensait à l’amour des religieuses pour le christ de leur cellule. — Cette fille blanche et sereine, cette statue d’albâtre, ce sphinx égyptien magiquement animé, lui apparaissait comme une énigme qu’il voulait déchiffrer, ou mourir.

Il ne lui fit pas la cour : on ne fait pas la cour aux énigmes. Il ne l’assiégea d’aucune manière. L’idée qu’elle était faite comme sont les femmes, et bonne à donner du plaisir, ne lui vint jamais. Il l’aima plus chastement que Fierce n’aimait Mlle Sylva, et quand il médita de l’épouser, il ne songea pas à la nuit de noces : s’il y avait songé il eût reculé peut-être, pris de peur.

Épouser Marthe Abel. — Mévil fabriqua d’abord cette imagination dans une heure de fièvre. Le mariage venait, au milieu des principes et des règles de sa vie, comme un chien parmi des quilles. Au seul mot, Torral avait éclaté de rire ; Mévil honteux relégua l’idée dans son tiroir à folies.

Mais bientôt, les règles et les principes ne furent