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— « Tu l’as reprise ? demanda Fierce.

— Non, » fit l’autre d’un signe de tête. Il parlait par monosyllabes, comme un homme très las.

Tout à coup, il regarda Fierce en face :

— « Dis ? c’est vrai, tu épouses Mlle Sylva ? »

Sa voix s’était nuancée d’un respect singulier, et d’une tristesse sombre. Fierce, ému, lui serra la main.

— « Oui, dit-il ; et je suis bien heureux… »

On arrivait au petit pont de briques. Les victorias tournaient bride et s’en revenaient, toujours au pas. Dedans, des femmes souriaient, vaniteuses de leurs robes ; — Mévil les regarda, puis, lentement, haussa les épaules ; et murmurant : « adieu », il se pencha, tourna court, et partit vite en sens inverse, — à la poursuite des femmes, de celle-ci ou de celle-là, ou d’une autre, absente. Fierce, pensif, regarda la rizière inondée, et le soleil couchant qui la pailletait de rubis.

Plus loin que le pont, il s’arrêta sur la route devenue déserte. Quelques arbres faisaient un peu d’ombre, et il aimait ce coin, surtout depuis qu’un soir de l’autre mois, il s’y était arrêté avec Sélysette, et qu’un vol de lucioles avait tourbillonné autour d’eux, — Plein de ce souvenir, il mit pied à terre ; mais mal lui en prit : la voiture des Ariette s’arrêtait dans le même moment, et il ne put esquiver la rencontre. L’avocat jaune grimaçait son plus aimable sourire ; Fierce dut venir à la portière ; Mme Ariette, comme distraitement, déganta sa main pour qu’il la baisât.