Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ingénieur écrivait avec une rapidité folle, intégrait, différenciait, simplifiait, et courait au bout du tableau inscrire les résultats on accolade. À la fin, il balaya le calcul à grands coups d’épongé, jeta sa craie, s’assit sur un pliant à quatre pas du mur, et contempla sa solution en roulant une cigarette.

Mévil entrait, précédé d’un boy annamite de douze ans qui marchait en se déhanchant comme une femme.

— « Tu travailles ?

— J’ai fini, » dit Torral.

Ils n’échangèrent pas de bonjour et ne se serrèrent pas la main ; ces démonstrations ne figuraient pas dans le rite de leur amitié.

— « Quoi de neuf ? » demanda l’ingénieur en pivotant sur son pliant.

Ce pliant était le seul siège de la fumerie. Mais il y avait à terre abondance de nattes cambodgiennes et de coussins en paille de riz, et Mévil s’était allongé prés de la lampe à opium.

— « Fierce arrive ce soir, dit-il. Il m’a télégraphié du Cap St-Jacques.

— Très bien, dit l’ingénieur ; on le recevra. As-tu préparé quelque chose ?

— Oui, dit Mévil. Nous dînerons au cercle et je venais t’inviter. Rien que nous trois, bien entendu.

— Parfait… Tu fumes une pipe ?

Y en a pas moyen, déclara le médecin en parodiant le jargon indigène. Ça me réussit particulièrement mal depuis quelque temps.