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aux torpilleurs, pour l’affût des misérables coquilles de noix vainement ruées à travers les lames, meurtries, ruisselantes, vaincues d’avance…

Au bruit du canon manié, les Américaines se rapprochaient, curieuses. L’Anglais ferma la culasse.

— « Choses de guerre ; — bagatelles. »

Il accentua railleusement les mots : — things of war, humbug, — et riant, reprit le bras de miss Routh. Fierce eut une distraction : un vieux geste mal oublié lui revint sans qu’il y prit garde : son bras droit, au lieu de s’offrir, encercla la taille de miss Ivory, tandis que sa main gauche lui serrait les doigts. Elle s’abandonna, et il n’osa plus lâcher la taille complaisante. Un remords le troublait, pourtant.

Alors l’Américaine, surprise et piquée de la retenue de son cavalier, déploya son artifice de flirteuse. Elle l’engagea dans des phrases galantes qui tournèrent aux déclarations ; elle l’énerva de propos scabreux ; elle feignit de se refuser pour mieux s’offrir ; elle l’excita, l’affola, lui mit le sang en feu et la tête à l’envers. L’autre couple, en même temps, ne contenait plus ses envies libertines ; et la face rouge de l’Anglais pâlissait par intervalles. Les deux filles, endurcies au jeu et froides comme des chattes, se guettaient avec des rires, et s’enhardissaient l’une l’autre.

Une table était proche ; ils soupèrent. Quelques lampes éteintes faisaient du clair-obscur. Tout de suite, les verres furent échangés, les genoux se pressèrent. Miss Routh, se penchant soudain, offrit à son cavalier