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Il n’avait pas songé à cet amour-là. Après le dîner, ils se promenèrent sur le spardeck, transformé en jardin. Elle respirait large, en fille hardie et sensuelle, sa poitrine soulevant son corsage, sa main appesantie sur le bras qui la soutenait. Lui la regardait parfois, et ne pouvait s’empêcher de la trouver belle, avec son profil de faunesse, ses yeux voluptueux et durs, et son orgueilleuse toison d’or déferlant en vague.

L’amie fiancée à Bombay vint les rejoindre ; un enseigne anglais lui donnait le bras. Tous quatre s’appuyèrent aux lisses de l’arrière. La rade pointillée de feux était chaude et odorante ; les palmiers et les fougères qu’on avait amoncelés sur le pont y mettaient de la solitude et du secret. Près d’eux, dans son encorbellement, un canon Nordenfeldt allongeait sa volée fine, d’un acier qui luisait comme de l’argent.

L’Anglais, haut gaillard fort en couleur, commença d’assiéger sa partenaire. Miss Routh ne fit pas bien farouche résistance. La nuit s’entremettait, complaisante. Des baisers furent volés, des gestes s’ébauchèrent. Sur le bras de Fierce la main de miss Ivory s’énervait.

Lui sentait une marée trouble dans ses veines. Il voulut la refouler, réagir ; il plaisanta :

— « Gare à vous, monsieur ; miss Alix n’a plus le cœur libre…

— Bah ! railla miss Ivory. Bombay est loin, — far from here !  »