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des coureurs et des porteurs s’enfonçait. Et c’était l’escalade des ruelles en pente et des escaliers sans fin, jusqu’au cœur de la ville chinoise, qui ne connaît pas le sommeil. Les banques, les clubs, les comptoirs européens s’alignent à Hong-Kong dans une seule longue rue parallèle au quai, — la rue de la Reine, et cette rue-là, sauf quelques détails de couleur trop locale, pourrait appartenir à n’importe quelle cité coloniale anglaise. Mais dès qu’on s’en écarte d’un pas, le Hong-Kong chinois commence, — prodigieux. — Il n’est pas chinois seulement : il est parsi, tagal, macaïste, japonais, métis. Il grouille furieusement, du crépuscule à l’aurore, dans son dédale de rues pareilles à des escaliers de caves ; il grouille avec des attroupements, des rixes, des bagarres, et parmi l’épouvantable concert de cent mille voix qui s’époumonent. Les policiers sicks, gigantesques sous leurs turbans rouges, s’occupent seulement des coups de bâtons et de couteaux ; le reste est licite ; et chaque nuit ressemble à une nuit d’émeute.

Dans ce sabbat, les matelots assoiffés de vin, de cris, de femmes et d’orgies copieuses, trouvaient de quoi se rassasier. Dès la nuit noire, tous commençaient leur fête.

Plus tard, par les canots majors d’après dîner, les officiers envahissaient la terre à leur tour, — seconde invasion guère moins bruyante que la première. Les matelots de toutes les escadres ne se mêlaient pas entre eux, à cause de leurs différents langages ; ce n’était que dans l’ivresse des fins de nuits qu’on