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des chalands ou dans des jonques, la plupart inertes et morts comme des usines abandonnées. Les paquebots blancs, luisants comme des yachts, semblaient être çà et là des châteaux parmi ces usines.

Le Bayard avançait, rapide, vers le mouillage des vaisseaux de guerre qu’on apercevait au fond de la rade, bien alignés et orgueilleux.

Des sampans frôlés battaient l’eau à grands coups de godilles. Les voiles de bambous nattés pendaient aux antennes, et l’on distinguait les figures des batelières chinoises, répugnantes sous leurs cheveux lisses constellés de bijoux verts. À leurs pieds, sur les planches malpropres, des bébés jaunes se vautraient au milieu de riz et d’écuelles renversées. Des bouffées nauséabondes sortaient de ces cloaques.

Mais maintenant qu’on approchait, personne ne regardait plus que la terre. Les montagnes de Hong-Kong semblaient jaillir de la mer ; car elles atteignaient d’une seule pente jusqu’à leur cime. En face la côte du continent s’érigeait en plans successifs vers une chaîne bleue qui se mélangeait au ciel, tandis que l’île était taillée raide et droite comme un cratère : les villas qu’on découvrait à mi-hauteur semblaient posées sur le roc comme des oiseaux.

Il y en avait beaucoup, de ces villas. Leurs terrasses étagées peuplaient la montagne. Des chemins en corniches les joignaient, supportés par de grandes arches qui leur donnaient des airs d’aqueducs romains. Un funiculaire effrayant, vertical comme une tour, escaladait le plus haut pic. Et la ville, serrée entre la mer