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deux, leurs plastrons déjà humides de sueur. Lui passait, négligent, tendant deux doigts, jetant un sourire. Par derrière, la large diagonale du grand cordon d’Annam, complétait la silhouette autocratique, — silhouette calculée, voulue, et d’ailleurs, d’intelligente politique en pays d’Asie. Il se retira dans un salon gardé, et l’amiral d’Orvilliers l’y rejoignit seul avec le général en chef. Par les fenêtres ouvertes, on put de loin les entrevoir, causant sans gestes. Les Tonkinois, sabres nus, veillaient alentour.

Les danses alors commencèrent, les flirts aussi. Sur les dalles de marbre du grand salon, lequel, haut comme une église, recueille par ses fenêtres géantes toute la fraîcheur que peut fournir une nuit saïgonnaise, on dansa jusqu’à l’aurore, cependant que des couples s’égaraient derrière les massifs du jardin. Les robes claires se confondaient avec les uniformes blancs, et la fête étincelait, sauvée du deuil des habits noirs d’Europe. Dans le parc, sous la lueur falote des lanternes de bambou, la ronde lente des promeneurs tournait couleur de lune, comme un nocturne de Watteau.

Tout Saïgon était là ; — même, quoique ce fût une fête européenne, une fête des conquérants jouissant de leur victoire en la capitale conquise, des indigènes avaient été conviés, des mandarins souplement ralliés à la République, et que leurs anciens sujets maudissent au fond des cañhas. Le Tong-Doc de Cholon causait impôt avec Malais ; l’ambassadeur du roi de