Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans se regarder vivre. À ce jeu neuf, il apprit à savourer le goût de la vie ; et quoique son palais fût convenablement desséché, il s’émerveilla de ce goût qui lui était nouveau.

Il connut avec délice la joie jeune des espoirs et des chimères, et l’angoisse exquise qui vous serre la gorge à l’apparition de l’aimée. Ses chimères étaient simples d’ailleurs, et ses espoirs modestes : il ne désirait rien que le sourire et l’amitié de Sélysette. Trop de femmes, toutes méprisées, s’étaient succédées dans son lit pour qu’il trouvât souhaitable d’y coucher son unique idole.

Quand Fierce rendait visite dans la villa de la rue des Moïs, — il y allait très souvent, et s’ingéniait en sournois pour trouver seules Mme Sylva et sa fille, — il passait par la grille toujours ouverte, et gagnait le jardin sans traverser la maison. Vers quatre heures, avant la promenade. Mme Sylva ne manquait guère d’aller s’asseoir sous les banians de sa terrasse, et respirer le plein air que les arbres touffus gardaient frais. Là, Fierce trouvait toujours l’aveugle sur son même fauteuil de rotin, ses vieilles mains occupées du même tricot de laine grise, et, toujours fidèle compagne, Mlle Sylva babillant ou lisant à voix haute.

Il était maintenant le meilleur ami, celui qu’on accueillait avec le plus de joie, celui qui jamais n’im-