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parer. Il laissa tomber sa raquette, et trébucha pour la ramasser.

Des bravos saluaient Fierce. Il n’entendit pas : Sélysette, avec un cri de victoire, courait à lui. Il vit les chers yeux briller de joie enfantine, il reçut la menotte chaude franchement jetée dans sa main. Elle le remerciait de tout près, familière, délicieuse :

— « Vous m’avez fait gagner… Vous êtes gentil tout plein ! »

Mévil traversait le gazon. Mlle Abel, très polie, s’excusait de sa maladresse : sans elle, il aurait assurément gagné. Il n’écoutait pas, et regardait Fierce et Sélysette la main dans la main. — Quelque chose de froid lui entrait dans le cœur.

Fierce était ivre, ivre de cet amour qui maintenant ruisselait dans sa poitrine, comme un étang que des sources cachées ont empli et qui déborde. Dans le regard ami de Sélysette, il lisait une promesse d’amour rendu, et son exaltation s’en faisait folle. Au départ, parce qu’elle lui pressa la main, il l’adora comma une Madone. Il se retint pour ne pas baiser sa robe à genoux.

Dans le couchant rouge, le soleil flamboyait. La terre en était sanglante ; et les ruisseaux des trottoirs, et les vitres des maisons, dardaient partout des reflets comme des éclairs. La rue était une voie triomphale, bordée d’or, pavée de pourpre.

À Fierce, ébloui de son amour, il sembla que la vie s’ouvrait désormais pareille à cette voie, radieuse.