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cédé discret, dans un pays où les rues sont désertes jusqu’au déclin du soleil. — Ce jour-là, Raymond Mévil sortait tôt, non pour la classique promenade d’avant dîner, mais pour quelques visites demi professionnelles, qu’il espaçait d’ailleurs largement, sa tactique étant d’être rare.

Une congaï à chignon lisse ouvrit la porte, jeta quelques lazzis criards aux coureurs, et s’immobilisa tout à coup, doucereuse : le maître paraissait. Il descendit le perron, d’un pas jeune quoique déjà traînant, caressa du doigt le sein de la femme à travers le ke-hao de soie noire, et monta dans le petit véhicule qui partit à fond de train, les Tonkinois courant à toutes jambes pour que le vent de la vitesse rafraîchit le visage de l’homme d’Occident. Aux fenêtres, par les fentes des volets clos au soleil, des regards de femmes admirèrent la joliesse des livrées blanches bordées de pourpre, — admirèrent la grâce du promeneur, plus séduisant que le luxe dont il s’entourait. Le docteur Mévil était aimé des femmes, — d’abord parce qu’il les aimait, et qu’il n’aimait qu’elles, ensuite parce qu’il était beau d’une beauté qui les troublait toutes, d’une beauté sensuelle et molle jusqu’à l’indécence. Il était blanc et blond, avec des yeux bleu foncé trop longs, et une bouche petite et rouge. Quoiqu’il eût trente ans passés, il paraissait adolescent, et quoiqu’il fût robuste, on l’imaginait délicat. Ses longues moustaches claires le faisaient ressembler à un Gaulois décadent, que les siècles se seraient fait un jeu d’affiner et d’adoucir