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pour la moisson… Comme la maison était gaie, quand il était là ! Son dolman bleu mettait du soleil partout… C’étaient de belles moissons ! Quand il repartait, sa place restait marquée à la table, et son couvert était mis à tous les repas, comme s’il eut été là. — Et puis, il n’est plus revenu… »

Fierce, tout bas, interroge :

— « C’est alors que vous avez quitté la France ? »

La voix égale de Mme Sylva répond :

— « L’année d’après. J’étais veuve et ma fille déjà grande ; son tuteur fut nommé gouverneur à Saïgon ; nous l’avons suivi. Et j’ai bien fait, puisque, six mois plus tard, mes yeux déjà bien malades se fermaient tout à fait. Une maman aveugle, un tuteur absent, — ma pauvre Sélysette serait morte d’ennui, là-bas… »

Fierce regarde les cheveux blancs et le visage sans rides. Ainsi donc, en très peu d’années, tout le bonheur de cette femme s’est écroulé, fauché comme un épi mûr ; elle a perdu son mari, sa maison, sa patrie, et la douce clarté du jour. Elle sourit cependant ; tant d’amertumes n’ont pas aigri son courage ; et pour l’amour de sa fille, elle a su refouler toutes ses larmes stoïquement…

— « Quand j’étais petite… »

Mlle Sylva conte des souvenirs enfantins et jolis. Fierce revoit, au fond de sa mémoire, son enfance à lui, triste et sèche. Sa tendresse croît pour cette confiante fille qui lui ouvre avec tant de grâce sa cassette à confidences.

… Les magnolias, plus odorants dans la brune ; —