Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— « Ces palmes qui ondoient, murmure Sélysette Sylva, ce sont des oriflammes plantés sur le toit de la forêt… »

Le bac dérive au milieu du courant ; sur l’eau couleur de braise, les grêles silhouettes des rameurs s’agitent en ombres chinoises ; une congaï, assise à l’avant, les pieds dans l’eau, piaule un chant discordant et plaintif.

Le soleil baisse. Il faut rentrer. Sous les aréquiers, la nuit commence. Et comme la rosée de six heures dépose déjà partout ses gouttelettes, Mlle Sylva, prudente, enveloppe l’aveugle dans son manteau, avec des gestes soigneux de petite mère.

… Sous les aréquiers, la nuit commence…

— « Quand j’étais petite, songe tout haut Sélysette Sylva, les arbres de notre jardin me semblaient très grands, et le jardin immense. Ces aréquiers-ci, et toute cette forêt, sont minuscules en comparaison de mon souvenir… »

Le sabot des chevaux ne fait pas de bruit sur la terre molle. Le recueillement du crépuscule est propice aux confidences.

… « Nous habitions une vieille maison qui ressemblait à une ferme, et qu’on appelait le château, à cause d’une tourelle pointue. C’était dans le Périgord. Il y avait beaucoup de fleurs, et un troupeau de chèvres sur la colline, avec un petit pâtre à béret rouge. Tous les murs étaient habillés de glycines, et les paysans y accrochaient des lampions et des banderoles, quand papa revenait d’Afrique, chaque année,