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volé, pillé, rançonné ; j’ai gagné de l’argent, et cette phrase-là renferme une foule de menues turpitudes, dont la somme fait un criminel en même temps qu’un millionnaire. Mais à cause même de ces turpitudes qui ont rassasié et écœuré ma vie, j’ai un furieux faible pour tout ce qui est honnête. Chez moi, monsieur de Fierce, vous ne serrerez pas de mains équivoques ; c’est un grand luxe à Saïgon que de refuser la poignée de ces mains-là ; mais je suis assez riche pour me payer tous les luxes. Ma femme, ici comme ailleurs, ne subit que des gens propres…

— Vous ne craignez pas, dit Fierce, railleur, que je fasse tache ?

— C’est mon affaire. Venez.

— Quand ?

— Quand vous voudrez. Il n’y a pas de jour pour l’enfant prodigue… »

Ils passaient devant la Hong-Kong and Shang-Haï. Avec la promptitude qui marquait tous ses gestes, Malais serra la main de son compagnon et disparut dans la porte cochère.

Fierce s’en alla pensif. Sur sa tête, un flamboyant ironique égrena des fleurs rouges.

Fierce songeait. Sans s’en douter, il tourna le dos à son chemin, — car cinq heures sonnaient à l’hôtel des postes, l’heure de l’Inspection, et sa Victoria l’attendait rue Tuduc ; or, la rue Tuduc avoisine le Donaï et Fierce, marchant au hasard, s’éloignait de la rivière.

Il laissa les rues centrales et bruyantes. Les quar-