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encore, — je le dis très bas, à cause de votre modestie, — comme je relis les classiques impeccables de mon cher XVIIe siècle…

Depuis, j’ai médité sur cette nuit de lecture. Nul livre jamais, c’est positif, ne m’a conquis comme fit Aphrodite. Et j’étais probablement alors un lecteur plus sévère que je ne suis devenu. J’étais un écolier de la veille. Sophocle, Racine, La Bruyère m’avaient enseigné le dédain des modernes et de leurs procédés : le romantisme et le naturalisme m’irritaient pareillement. Je méprisais les tumultueux, les bouches rondes, les excessifs, comme autant de catégories d’impuissants. Je détestais toutes brutalités, toutes violences, toutes emphases. Je haïssais le mouvement qui déforme la ligne. Oui vraiment, j’étais un féroce lecteur, sectaire, et tout à fait intransigeant dans sa religion…

Au fait, mon cher ami, voilà pourquoi votre Aphrodite s’empara si vite de moi, et me posséda entier. C’est qu’elle était de ma religion, — la religion des belles lignes harmonieuses et immobiles, la religion de la Beauté toute nue et toute pure. Très exactement, vous me donniez la déesse même adorée en mon temple ; et vous me la donniez vivante, toute chaude, en place des statues froides qui seules m’étaient encore connues. À plusieurs siècles de distance, une œuvre littéraire nous apparaît en effet comme figée et morte. Si belle qu’elle