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la masse. Le docteur Mévil se montrait parfois au cercle, — lorsqu’une intrigue nouvelle l’obligeait à dîner avec un mari ; — Torral fréquentait la salle de jeu : c’était là qu’il voyait le plus de Saïgonnais réunis, et qu’il pouvait par conséquent en mépriser d’un seul coup davantage. D’autres hommes remarquables apparaissaient encore, — civilisés ou barbares : Rochet le journaliste, Malais le banquier, Ariette l’avocat ; — tous ceux qui, parmi la plèbe des aigrefins vulgaires, s’étaient haussés jusqu’à l’aristocratie des flibustiers : tous ceux qui avaient su, plus ou moins somptueusement, s’enrichir mieux que par l’escroquerie simple ; tous ceux qui avaient eu l’habileté ou la hardiesse de battre monnaie légalement, quoique aux dépens d’autrui. Ceux-là plaisaient à Fierce, et, tandis que sa voiture roulait vers le cercle, il souhaita trouver quelqu’un d’eux.

Le hasard le servit. Dans la salle des journaux. Malais lisait les feuilles du soir. Fierce ne vit d’abord qu’un amas de papiers déployés ; mais au pas de l’arrivant, les papiers croulèrent, et le banquier apparut, déjà debout : Malais, jadis soldat, marin, typographe, négociant et colon tour à tour, avait gardé de ses métiers nombreux une énergie active qui se reflétait dans ses gestes rares et brusques comme dans ses mots sobres et prompts.

— « Madame Malais se porte bien ? » demanda Fierce ; — il avait rencontré deux fois la jeune femme au théâtre et ne lui avait pas fait la cour, quoiqu’il la trouvât ce qu’elle était, délicieuse.