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pour jamais interdites aux vierges sages, et ignorées d’elles.

Mais au moment d’exécuter ce programme, l’enthousiasme convenable lui manqua.

Se débaucher à contre-cœur n’est pas très amusant. Fierce réfléchit que l’heure était passée d’aller chez Liseron, sa maîtresse : Mévil y pourrait venir, et Liseron détestait les flagrants délits. L’heure était passée aussi de chercher parmi les congaïs ou les métisses de Tan-Dinh et d’Iloc-Môn une complaisante compagne d’avant-dîné : toutes assurément promenaient leurs grâces asiatiques dans les victorias de l’Inspection. Le quai était désert. Fierce se jugea tout à fait seul au monde, et dans l’impossibilité d’accoupler une autre solitude à la sienne. Il arrêta une voiture qui passait vide, et se fit conduire au cercle.

C’était en ses jours d’ennui que Fierce allait au cercle. La société coloniale n’avait rien en soi qui le charmât : elle était trop réellement le fumier humain qu’avait dit le gouverneur général. Beaucoup des membres du cercle n’étaient que gens équivoques, acceptés par défaut de concurrence, et considérés surtout pour leur heureuse impunité ; — d’ailleurs hommes du monde ou s’efforçant de le paraître, et payant de mine après avoir payé d’audace ; — coquins de bonne compagnie, capables, dans toutes les médiocres occasions, de faire montre d’honneur et même d’honnêteté. Le ragoût comique de cela. Fierce, blasé, ne s’en souciait plus.

Il est vrai que quelques individus tranchaient sur