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d’êtres sans visages, et il leur donnera dix sexes à chacun, pour que la page contienne soixante accouplements au lieu de six. »

Admiratif, il contempla longuement la prodigieuse estampe. Puis il se leva et s’habilla pour sortir.

Comme il allait remplacer par un smoking blanc son veston d’uniforme, il s’interrompit pour regarder encore l’image japonaise qui ressemblait à Sélysette Sylva : il prit un secret plaisir à cacher avec sa main le personnage de l’amoureux réaliste, à cacher aussi le désordre de l’amoureuse, et à ne plus rien voir qu’un visage malicieux qui lui souriait. Après quoi il passa le smoking et prit un chapeau de paille : le soleil se couchait, on pouvait s’épargner le casque.

« Au fait, dit-il tout à coup à hante voix, c’est stupide, cette chambre grise. J’ai le spleen depuis ce matin. Il faut chasser ça. »

Il sortit.

Sur le quai, il hésita entre des distractions diverses. Sa journée avait été maussade. Sans trêve, l’inanité de ses plaisirs et de sa vie avait obsédé sa pensée ; et par un contraste ironique et ridicule, l’image de cette petite fille inconnue deux jours plus tôt, Sélysette Sylva, avait vingt fois dansé devant ses yeux, toujours avec des sourires épanouis de bonheur. Cette vision réitérée ne manquait pas d’être irritante, quoique agréable aux yeux ; Fierce maintenant désirait l’écarter, et goûter une sorte de revanche, en se jetant à corps perdu vers des voluptés des Mille et Une Nuits,