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— Eh bien, par exemple, elle donne dans la philosophie. Elle raisonne, elle spécule, elle lit d’énormes bouquins allemands, pleins de théories renversantes ; elle ne va pas à la messe ; elle est athée, et tout ça me choque horriblement… »

Fierce, avec curiosité, regarde l’étrange fille qui ressemble à un sphinx. Mlle Abel ne parle guère, écoute et regarde. Ses yeux noirs, profonds comme des lacs, luisent avec sérénité dans son visage d’albâtre encadré de lourds bandeaux à reflets bleus ; et il est très impossible de sonder ces yeux-là, et de découvrir la pensée qui veille au fond de leur eau immobile… « Moi, continue Mlle Sylva, je ne lis pas Schopenhauer et je vais à confesse. »

Fierce ramène son regard sur la jolie enfant blonde aux yeux couleur de temps, qui joue encore à la poupée.

— « Le catéchisme vous suffit ?

— Il me suffit entièrement.

— Vous êtes très dévote ?

— Pas dévote : je ne passe pas ma vie dans les églises. Mais je suis bonne catholique, très pratiquante. »

Fierce ne hausse pas les épaules. Mlle Sylva poursuit :

« Vous êtes sûrement religieux, monsieur : tous les marins le sont. Et d’ailleurs, il faut être bien fou pour nier Dieu… Mais surtout, je trouve qu’une femme athée est une espèce de monstre. Ce n’est pas élégant, l’athéisme ; je trouve que ce devrait être