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Par le profond secret d’un art impénétrable,
Vous embrouillez si fort l’intrigue de la fable,
Qu’à peine un Jupiter la pourrait démêler.
Tout ce que sur la scène on nous voit étaler,
N’est souvent que fumée, et qu’un éclat qui trompe,
N’a que de faux brillants, et qu’une vaine pompe.
Vous avez beau donner les plus belles couleurs,
Aux furieux transports, aux crimes, aux douleurs,
Aux plaintes d’un amant, au désespoir, aux larmes,
Ma sœur sur le théâtre on cherche d’autres charmes ;
On y veut des objets agréables et doux,
Sans y mêler l’horreur, la crainte et le courroux.
 
Pour vous vous le savez, le siècle vous fait grâce,
Bien souvent votre Jeu n’est que pure grimace ;
Un geste ridicule, et des tons imités,
Font ordinairement vos plus grandes beautés.
On vous voit tous les jours avec tant de licence,
(Soit adresse ou chagrin) pousser la médisance,
Que les plus retenus en gronde contre vous.
Pour moi qui n’ai l’esprit, ni chagrin ni jaloux,
J’avouerai que vos vers vous donnent de la gloire ;
Vous aurez votre place au temple de mémoire ;
On vous doit estimer tout ce que vous valez,
Mais peut-être un peu moins que ce que vous voulez.

Je ne vous direz point à sa honte et la vôtre,
Pour ne pas tout à fait confondre l’une et l’autre,
Qu’on vous voit tous les jours sans front et sans pudeur
Briguer chez les mortels l’estime et la faveur.
Moi-même j’en rougis, quand je vois des Déesses
Pour un faible intérêt faire mille bassesses.
Est-ce là le moyen de mériter le prix ?
Mais je veux autrement convaincre vos esprits.
Pour vous faire céder la gloire et l’art de plaire,
Voyez si comme vous je suis triste et sévère.