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mandant pardon à l’homme outragé, et embrasser son enfant avant de disparaître. Voilà toute la pièce, mais quelle vie en cette simple histoire !

« Il y a deux pièces d’ailleurs et bien distinctes dans cette œuvre : la première, en trois actes, étonnante de verve, d’acuité, de désinvolture, de grâce parisienne et moderne ; l’autre, larmoyante et un peu mélodramatique. Celle-ci refroidit le succès de la première représentation, et le décupla aux représentations suivantes, et je n’ai pas vu une femme, une seule, ne point pleurer à la mort de Frou-Frou.

« Elle est pourtant peu digne de tant d’émotion cette femme qui brise son bonheur, compromet son honneur et force deux braves gens à s’entre-tuer, simplement parce qu’elle a une crise de nerfs, et qu’elle se croit malheureuse. Mais elle est vraie et vivante. La vie, c’est la vertu de l’œuvre d’art. Ces trois premiers actes ont l’intensité de l’existence parisienne même, avec ce je ne sais quoi de fin et de tout particulier. La rivalité des deux sœurs est étudiée et analysée avec une exquise délicatesse de main. Et comme, sans avoir l’air d’y toucher, les auteurs enfoncent le scalpel dans le membre gangrené ! Nos mœurs faciles sont là ironiquement peintes ! L’ironie est une arme terrible. Un jour, c’était vers 1848, le directeur d’un journal socialiste demanda à Léon Gozlan un roman où fussent traités les problèmes qu’on agitait alors et qu’on agite encore aujourd’hui.

« Le voulez-vous sérieux ou gai ? dit Gozlan.

— À votre aise !

« Gozlan le fit terriblement gai, ce roman. Il écrivit Aristide Froissart où, tout en plaisantant, il montra la décomposition sociale, et traita la question du mariage indissoluble, du divorce et de la famille. On pourrait dire que MM. Meilhac et Halévy dans Frou-Frou ont agi comme Léon Gozlan. Quelle satire plus terrible de la famille, telle que nous l’ont faite les mœurs, que ce