Page:Claretie - Jules Sandeau, 1883.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au coin du feu entre un livre aimé, une table modeste, une femme et un enfant, et il avait dit, — heureux jusqu’au jour où la mort lui prenait son fils adoré : « le bonheur est là ! »

Le bonheur ! Il le cherchait d’ailleurs dans le songe, lui, ce chasseur de réalités de jadis. « Si vous voulez que cette histoire vous émeuve, dit-il quelque part, ne la faites pas : rêvez-la ! » Mais il eut mieux que le songe ; il aima et fut aimé. Ses confrères eux-mêmes l’honoraient, saluaient en lui son charme. D’ailleurs, bien différents des rivaux d’aujourd’hui, toujours l’ongle ouvert, ces gens d’autrefois s’attachaient les uns aux autres.

Il y a dans la vie de Sandeau un trait qui a pu inspirer à Balzac l’admirable, l’effrayant épisode de la servante vendant son corps, afin d’apporter de l’argent à Lucien de Rubempré, sans le sou pour faire enterrer sa maîtresse. Balzac vivait avec Sandeau dans une intimité complète, en pleine misère vaillante, dans une épique bohème qui n’a rien de commun avec la bohème railleuse de Murger, cette bohème qui, n’ayant point dîné, trouvait des mots en guise de cure-dents. Balzac, pauvre, avait des appétits de luxe. Il lui fallait, du fond de sa