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hommage dont il sera touché, s’il nous entend devant cette tombe. Je veux réjouir son âme en l’honorant dans son œuvre la plus chère et la moins connue, dans ce fils qu’il a tant aimé et dont la mort l’a tué… Oui, tué ! car ce coup terrible, en l’abattant, lui a ôté tout désir de se relever. « Pourquoi, me disait-il un jour, pourquoi voulez-vous que je me soigne ? Mon petit Jules est mort ! » Et cette adoration n’était pas l’aveuglement de l’amour paternel. Jamais fils n’en fut plus digne.

Celui que son père appelait encore le petit Jules était un des officiers les plus énergiques de notre marine… Ce vaillant jeune homme eut le chagrin de ne pas prendre part à la lutte de 1870. L’occasion parut pourtant s’offrir un jour, mais pour se dérober aussitôt. C’était dans les mers du Japon, en rade de Yokohama. Sandeau montait la frégate la Vénus, mouillée auprès d’une frégate allemande, la Méduse, quand la nouvelle de la guerre arriva dans ces lointains parages. Aussitôt le commandant français leva l’ancre en faisant savoir au Prussien qu’il allait l’attendre au large ; en attendant cette rencontre qui ne devait pas avoir lieu, car le Prussien préféra rester dans la neutralité de la rade, Sandeau écrivait à ses parents une lettre que je vous demande la permission de vous lire. Elle est digne de mémoire :

« Yokohama, dans la nuit du 13 an 14 octobre 1870.

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« Dans quelques heures nous serons aux prises avec l’ennemi, nous combattrons à forces à peu près équivalentes. — Je suis parfaitement calme et sûr de moi ! J’ai votre chère pensée dans le cœur ; elle me gardera, j’en suis certain. Pourtant, si je suis tué, mes pauvres chers bien-aimés, dites-vous dans votre peine que votre enfant est mort en accomplissant le premier des devoirs, en défendant l’honneur de son pays.