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mière fois, l’Institut, au pays de Le Sage, de l’abbé Prévost, de Stendhal, de Ch. de Bernard, de Balzac, de Dumas et de Soulié, ouvrait ses portes à un romancier. Mais quel romancier ! Un de ceux qui, par le roman, nous ont, tout en la peignant, allégés de la vie.

Lui, ce consolateur des âmes, ne se consola jamais du malheur qui avait frappé la fin de son existence :

« Les dernières années de Jules Sandeau ont été sombres, a dit M. Gustave Frédéric. Il avait perdu son fils unique, officier de marine brillant ; il ne faisait plus de pièces, plus de romans, il semblait désintéressé de la vie, désintéressé de son nom et de son talent.
       « Je sais un dernier roman qu’il aurait pu écrire, un roman idéal et réel, une vision dans la souffrance, une union dans la mort. C’est le roman de son fils, mourant à Menton d’une maladie de poitrine, pendant qu’une jeune fille distinguée, charmante, atteinte du même mal, s’éteignait dans une maison voisine. Jamais ces malades ne s’étaient parlé, mais ils se suivaient des yeux, de la pensée. Un peu des fleurs et des fruits qu’on apportait chaque jour à la jeune fille était envoyé à celui qu’elle ne connaissait que par leur commune tristesse, par cette sympathie de deux existences qui se voient finir toutes deux, du même coup, en même jeunesse. Et quand elle expira, lui, quelques heures après, rendit l’âme.
       « Que la mère de cette jeune fille me pardonne d’avoir touché à un si douloureux et si pur souvenir. Mais il me semble que si Jules Sandeau n’a plus écrit de roman, c’est qu’il ne pouvait plus écrire que celui-là. Et celui-là, ce roman qui n’a été qu’un rêve, cette entente poignante et à distance, cette adoration muette,