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esprit. C’est un poète, même quand il écrit en prose. Déjà à travers ses Histoires on l’aperçoit, qu’il représente Édouard III touché au cœur par « une étincelle de fine amour », ou qu’il ait cette note pittoresque : « Quand la douce saison de mars fut venue et que les vents se commencèrent à apaiser, et les eaux de leur fureur à retraire et les bois à reverdir… »

Je vous ai dit que Froissart a laissé un recueil considérable de poésies. Des pièces d’assez longue haleine, alternent avec des pastourelles, des rondeaux, des lais et virelais, le tout offre de la grâce, sinon de la profondeur, et des effets rythmiques nouveaux :


Mon cœur s’ébat en odorant la rose
Et s’éjouit en regardant ma dame :
Trop mieux ne vaut l’une que l’autre chose.
Mon cœur s’ébat en odorant la rose
L’odeur m’est bon, mais du regard je n’ose
Jouer trop fort, je vous le jure par m’âme,
Mon cœur s’ébat en odorant la rose
Et s’éjouit en regardant ma dame.


Les vers de Froissart, nous l’avons vu, valent assez pour l’honorer. Mais le prosateur a fait tort au poète.

Dans sa ville natale, à Valenciennes, il y a une place Froissart, dans un coin écarté de la vieille cité. De grands arbres ombragent un balustre ; l’endroit est peu fréquenté, silencieux, mystérieux. Debout sur son haut piédestal, Froissart semble méditer, et la place est bien choisie pour cette éternelle retraite du penseur de bronze. À deux pas, les remparts que Vauban a dessinés étalent les gazons de leurs glacis ; autour de la tête du chroniqueur, des oiseaux innombrables gazouillent dans les arbres épais de cette solitude, et Froissart voit ainsi passer les siècles entre les fortifications guerrières et la douceur harmonieuse du chant des oiseaux, entre ce double symbole qui encadra sa vie et son génie, le symbole des hauts faits de guerre, et celui de la poésie.

Froissart a éclipsé les chroniqueurs de son siècle. Ceux qui l’ont suivi ont été pris entre sa gloire et celle de Commines.