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tous les absents. Il ne s’arrête jamais devant les librairies en plein vent des galeries de l’Odéon, — qui sont, entre parenthèse, une des aimables originalités de Paris, — sans se souvenir de l’époque où, ses cahiers de lycéen sous le bras, il faisait là de longues stations et lisait gratis les livres des poètes qu’il aimait déjà. Enfin, il y a quelque part — il ne dira pas où — une petite fenêtre qu’il aperçoit en se promenant dans un certain jardin public et qu’il ne peut regarder en automne, vers cinq heures du soir, quand le coucher du soleil y jette comme un reflet d’incendie, sans que son cœur se mette à palpiter, comme il le sentait battre, il y a longtemps, il y a bien longtemps, mais dans la même saison et à la même heure, alors qu’il accourait vers ce logis avec l’ivresse de la vingtième année et que la petite fenêtre, alors encadrée de capucines, s’ouvrait tout à coup et laissait voir parmi la verdure et les fleurs une tête blonde qui souriait de loin.

« Heureux, ah ! heureux, bien heureux celui qui habite la campagne à ce délicieux moment de la vie ! C’est un lit de mousse sous les chênes, c’est le bord d’une petite rivière où bouillonne l’eau d’un moulin, c’est un chemin creux dans la vallée, c’est une prairie de fleurs et de papillons, ce sont de durs et doux paysages qui garderont, pour les lui rendre, les impressions de sa jeunesse, et qui lui offriront plus tard, quand aura fui le bonheur, un asile de solitude, de fraîcheur et de paix. Mais l’enfant de Paris qui, toujours privé d’air libre et d’horizon, ne voit dans son passé lointain que des rues tortueuses et les quatre murs d’un collège, il faudra bien, s’il est poète, qu’il récolte les souvenirs semés au temps de sa jeunesse sur des chemins dépavés et dans des maisons de plâtre, et qu’il sache faire tenir dans un couchant vert et rose aperçu au bout d’un faubourg, toute la morbide mélancolie de l’automne, et dans une matinée de soleil, près des lilas, au Luxembourg, toute la joie divine du printemps. »