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particulier, bien complet, terminé depuis peu. Le journal l’attendait et avait promis de le payer fort cher.

Au moment de le livrer, Erckmann et Chatrian se mirent à le relire ensemble ; ils hochaient la tête, faisaient la moue et paraissaient mécontents, car le roman ne leur plaisait pas. Qui ne les a ressenties, ces affres du désastre, ces tortures de l’écroulement d’une œuvre qui, rêvée, promettait tant de joies ? Bref, le roman était manqué.

— Veux-tu que je te dise ? interrompit tout à coup Chatrian avec sa franchise brusque, eh bien, c’est boiteux ! Nous avons beaucoup travaillé, soit, mais nous nous sommes trompés. Écoute, ce roman représente une assez jolie somme ; mais, quand nous la toucherions, nous n’en serions pas beaucoup plus riches, et nous aurions à notre passif un livre médiocre. Je sais bien que ces feuilles nous ont coûté bien du travail pour les couvrir d’encre ; mais que veux-tu ? on n’exécute pas toujours ce qu’on rêve. Et comme en ce moment nous sommes, l’un et l’autre, dans une mauvaise veine, demain tu prendras le train, tu iras dans les Vosges te reposer, prendre l’air, te mettre au