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verres à vin du Rhin vont se remplir. Quel savoureux repas se prépare, et qu’il fait doux vivre dans ce paisible petit village ! Mais quoi ? Qu’y a-t-il ? Les figures pâlissent, les yeux se troublent. Là-bas, une vieille sorcière a passé, jetant des cris de malheur comme les gypsies écossaises des romans de Walter Scott. On a trouvé dans quelque étang, les yeux encore ouverts, le cadavre d’un homme égorgé. La vigne qui donna ce vin pousse ses racines dans le cimetière. On raconte, tout bas, que le sang des morts a passé dans les flacons de monsieur le bourgmestre ; et, vite, on rentre chez soi, on se calfeutre, on se cloître, on a peur, et tout au loin, dans la forêt, il semble qu’on entende, à de courts intervalles, le lugubre hurlement du loup.

Fatigués peut-être de raconter des festins hyperboliques comme dans ce pantagruélique chef-d’œuvre l’Ami Fritz, et de chanter la choucroûte arrosée de bière, et les amours et les misères de ce petit village, MM. Erckmann-Chatrian, encouragés par le succès du Fou Yégof, écrivirent alors Madame Thérèse, et de ce roman date leur popularité.

Les deux amis avaient senti que la réalité