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« Tout le monde se sauvait. Ce tas de gens avaient peur.

« L’homme allait sauter, poussant le monde devant lui par les reins, lorsque je me plantai droit en face, par un quart de conversion. Il eut un sale regard en voyant mon képi et mes aiguillettes blanches. Il les avait aperçus tout à l’heure ; mais pas comme ça, dans l’exercice de mes fonctions.

« Il avait la tête de plus que moi. Je levai le bras et je le saisis brusquement par le haut de sa blouse :

« — Au nom de la loi, je vous arrête !

« Pour toute réponse il m’envoya, le gredin, un coup de genou dans le ventre et j’aurais été rouler à dix pas de là, je crois, si je n’avais pas eu la présence de Catissou pour tripler mes forces. Je me moquais bien du coup de genou ! Je tenais l’homme, je le tirais, je le traînais. Je ne le lâchais pas. On m’aurait coupé le poignet pour me le faire lâcher. Et lui, me donnant des coups de mâchoire dans la tête essayait de m’étourdir ou de me casser le crâne ?… Tout à coup, — j’en ai encore la cicatrice, — vlan ! il m’enfonce un couteau dans le cou, là, à l’endroit même ou le père Coussac avait été frappé… Une habitude à ce gredin-là, faut croire !…

« Il comptait me tuer : mais le collet de mon uniforme pare la chose à peu près et la lame du couteau, — un couteau de Nontron, à manche jaune, — coupe le collet net et ne me fait à moi qu’une entaille… Alors ma main s’abat sur le poignet de ce bras qui tient le couteau, et je le maintiens ce bras-là, au-dessus de ma tête, me disant que s’il retombe sur moi une seconde fois, c’est fini ! Flambé, le gendarme ! Et je le voyais, ce couteau-là, en l’air, comme l’épée de cet autre, Damo… Damoclès… et sur le manche du couteau, les quatre gros doigts égaux de cette main qui avait fait reconnaître à Catherine Coussac l’assassin de son père.

« Combien ça dura, cette bataille-là où mon sang barbouillait la face du gredin, si bien que je croyais l’avoir blessé, ça dut être long ; mais ça me parut plus long encore.. Je sentais que je perdais de ma force, que j’allais lâcher le bras et que le couteau… dame ! le couteau !.., Tout à coup, ce propre-à-rien-là poussa un cri… ah ! mais un cri sauvage… un cri de cochon qu’on égorge… il bondit, moi le tenant toujours, ah ! mais ! Puis, comme pour se dégager de quelque chien qui l’eût mordu aux mollets, il recula et recula si vite que son grand corps butta et que, m’entraînant, lui dessous, moi dessus, il tomba à terre…

« Sous lui, quelque chose s’agitait ou plutôt se cramponnait