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Pendant ce temps, Camille, après un nom, se faisait des amis. L’auteur du Tableau de Paris, Mercier, l’avait présenté dans plusieurs maisons. Mirabeau s’était constitué son hôte. Là, chez Mirabeau, à Versailles, Camille se trouvait à l’aise et il écrivait gaiement : « Je sens que sa table trop délicate et trop chargée me corrompt. Les vins de Bordeaux et son marasquin ont leur prix que je cherche vainement à me dissimuler, et j’ai toutes les peines du monde à reprendre ensuite mon austérité républicaine et à détester les aristocrates, dont le crime est de tenir à ces excellents dîners. »

Pour le moment, Desmoulins suit évidemment l’inspiration de Mirabeau, comme il suivra plus tard celle de Danton. À ces natures faibles, il faut des mâles pour conseils, comme au lierre il faut un appui.

Camille, plus ou moins satisfait de sa renommée grandissante, — au fond mécontent encore et troublé, — se soucie toujours du qu’en dira-t-on de sa ville natale et des propos que peuvent recueillir ses parents :

« Si vous entendez dire du mal de moi, dit-il, consolez-vous par le souvenir du témoignage que m’ont rendu MM. de Mirabeau, Target, M. de Robespierre, Gleizal et plus de deux cents députés. Pensez qu’une grande partie de la capitale me nomme parmi les principaux auteurs de la Révolution. Beaucoup même vont jusqu’à dire que j’en suis l’auteur. »

Ici, Camille force un peu la note. Mais son amour-propre a bientôt de quoi se sentir légèrement rabattu lorsque l’hôte de Mirabeau, revenant de Versailles, songe qu’il n’a pour gîte, dans ce grand Paris, qu’une hôtellerie de second ou de troisième ordre. — « Et voilà que j’ai trente ans ! » dit-il alors avec une sorte d’amertume effrayée. Trente ans, le premier pas vers la maturité