Page:Claretie - Édouard Pailleron, 1883.pdf/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un pan de ciel bleu, le grenier de nos vingt ans. Il se rappelait avec joie ces réceptions de sa jeunesse, rue de Rivoli no 33, dans une maison brûlée en 1871, ces soirs de gaieté où About, Sarcey, Thiboust, Got, Barrière, Henri Monnier, Édouard Plouvier venaient assister à des Guignols où l’on jouait le Voyage à l’Odéon, en vers, ou encore la Poignée de cheveux, drame « difficile à démêler ». Indépendant par la fortune, toujours Pailleron a été ainsi, accueillant, hospitalier aux gens d’esprit.

Car voilà un des traits encore de cette physionomie littéraire : d’autres ont eu à lutter contre la misère ; il a eu, lui, à lutter contre cette richesse qui jetait en travers de sa route, avec l’incrédulité d’autrui, le manque du plus puissant ressort qui soit, — utile, presque nécessaire à l’artiste, — le besoin de travailler pour vivre, la joie de gagner le pain du jour avec la gloire du lendemain. Ceci n’est pas du tout un paradoxe. Il n’est point facile d’anéantir certains clichés répétés avec soin par les rivaux et ces pires des ennemis qu’on appelle les « bons petits camarades ». Un poète riche ne semble pas devoir être un poète, dans un pays qui aime si profondément les poètes pauvres