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LES JACQUES

— Au bord de l’Ailette, il y avait une cabane que Jean le Tisserand habitait avec ses deux filles. Par grand malheur, l’aînée était jolie, elle attira les regards de son seigneur. Honneur pour elle, assurément, mais elle eut le mauvais goût de ne point le prendre ainsi, et d’écouter la chanson d’amour de Pierre le laboureur.

« En ce temps-là, Bertrand de Coucy décidait des noces de ses serves. Toute tremblante, Jeanne, la fille du tisserand, vint demander au maître, moyennant l’habituelle redevance, la permission de contracter mariage avec celui qu’elle aimait. Par un raffinement cruel que la pauvrette ne soupçonna pas, le maître l’accorda et Jeanne se montra joyeuse.

« Or, au soir des épousailles, la tête perdue d’ivresse chevauchant son lourd cheval, Bertrand de Coucy se ruait sur le village comme à l’assaut. Malgré ses cris, ses sanglots, ses appels, il arrachait Jeanne du lit nuptial.

« Exaspéré de douleur, l’infortuné Pierre s’oublia jusqu’à frapper le seigneur. Le lendemain, on le trouvait pendu, la tête en bas et les yeux crevés à la branche maîtresse d’un chêne.

« Huit jours Jeanne demeura prisonnière. À quelles monstrueuses orgies dut-elle participer, on peut l’imaginer, mais nul ne l’a jamais su, la malheureuse étant sortie à peu près folle des mains de son bourreau. Quant à l’enfant qui devait naître quelques mois plus tard, nommé d’abord

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