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LES JACQUES

la bonne fortune : Leriche, Bonnaventure, Gaudin. Une méchante querelle, un sort néfaste accordèrent au pauvre hère d’être nommé Mauvoisin, à moins que ce ne fût Gastebled. Sa stature ou quelque infirmité l’aurait pu faire appeler Le Nain, Leborgne, Maucorps, Piedlevé, à moins qu’un naturel aimable lui eût permis de demeurer Doucet ou Bellot.

Frappe-Fort devait à sa profession le nom qui, depuis longtemps, avait fait oublier son prénom baptismal. Géant à la barbe blonde, son visage coloré s’éclairait du bleu tendre de ses yeux, contraste singulier avec la force émanant d’une encolure épaisse, d’énormes poings qui maniaient le marteau à grands coups réguliers. Un tablier de cuir épais, luisant, l’enveloppait de la tête aux pieds. Ses bras toujours nus semblaient d’acier, durs autant que l’enclume sur laquelle ils frappaient. De grossières chausses de laine brune, presque entièrement recouvertes de bandes d’un cuir lissé par l’usage, entouraient ses jambes.

Habile forgeron, sa renommée s’étendait au delà du bourg de Coucy, chez les gens de noblesse et d’Église, autant que chez les pauvres laboureurs. En d’autres temps, son travail eut pu rendre sa vie heureuse, malgré l’impôt que prélevaient les sires de Coucy pour sa redevance. Mais FrappeFort ne pouvait détacher son sort du destin misérable des artisans, des paysans au milieu desquels son enfance avait souffert, de ces compagnons

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