Page:Clar - Les Jacques, 1923.djvu/124

Cette page n’a pas encore été corrigée
LES JACQUES

Frère Loys demeura songeur un instant, puis murmura : Que Dieu sépare le bon grain de l’ivraie, qu’il le prenne en miséricorde. Conrad eut un geste d’indifférence. — Savez-vous comment est né Conrad, frère Loys ? demanda-t-il. Le moine répondit non, d’un mouvement de tête. Ma mère Maïa était une fille de race gitane. Comme elle eut le malheur de ne point choisir époux dans sa tribu, elle se vit répudiée par le peuple de Bohême. Elle disait la bonne aventure, mon père faisait danser un ours sur les places ou dans la cour des châteaux. Un jour, marqué d’une pierre noire, ils vinrent non loin d’ici divertir les hôtes d’une seigneuriale demeure. Tandis que ma mère prédisait l’avenir à la vieille châtelaine, mon père prodiguait son savoir devant le jeune châtelain et sa sœur. La noble demoiselle et le beau damoiseau ne trouvèrent pas le spectacle assez fol. Sous prétexte de le rafraîchir, on fit emmener mon père à l’office. Quand il revint, il trouva l’animal démuselé et harcelé par les dogues lâchés. Il voulut le reprendre, mais l’ours se tourna contre lui. Ce fut un combat entre l’homme et la bête aux éclats de rire des jeunes nobliaux qui s’amusaient enfin. Imaginez ma mère survenant, frère Loys, et frappée d’épouvante, assistant au combat qui ne se termina que grâce au couteau - 122-

— 122 —