Page:Clar - Les Jacques, 1923.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LES JACQUES

étaient plantées sur une de ses rives, habitations de pêcheurs, tributaires des sires de Coucy. Un peu plus haut, formant un des angles de la réserve, propriété personnelle de la famille seigneuriale, une demeure presque confortable dénonçait la maison de l’intendant.

De l’autre côté de l’Ailette, comme des champignons sombres, des chaumines basses, s’accotant les unes aux autres, frileusement, semblaient se protéger de l’énorme masse du château fort dont les lourdes tours, assises à même le roc, écrasaient les alentours de leur ombre farouche.

Placé comme il était, l’homme n’apercevait pas le château, mais il sentait peser cette ombre sur sa chétive personne.

À part une chèvre noire, échappée de quelque sabbat, et qui cherchait, au bord du bois, une pitance problématique, l’homme pouvait s’imaginer le seul vivant de la vallée.

Mais le silence fut troué des cris nasillards d’une bande de choucas tourbillonnant, puis une cloche au loin dénonça la présence d’un couvent.

L’homme demeurait insensible. Ce paysage lui était familier depuis l’enfance. Dans une de ces huttes de terre battue, s’écoulait sa misérable existence, et sur ces labours sans troupeaux, il peinait pour arracher au sol une chiche récolte qui ne lui appartenait pas.

Pourtant de ses yeux sombres, au regard vif, comme s’il les avait aperçues pour la première

— 9 —