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Sensations de Nouvelle-France

et s’accoudant à la rampe, la face à la foule ; —

« Vous avez deviné juste, dit-il. Toutes nos velléités françaises n’existent plus qu’à la surface. Au fond nous tendons, par un acheminement libre et naturel, à la fusion avec la race dominante, et nous glissons nous aussi par une pente rapide au gouffre anglo-saxon. Si encore cela ne dépendait pas de nous, et que nous fussions les victimes de circonstances incontrôlables, on aurait beau jeu à mettre tout simplement ce qui se passe sur le compte de la fatalité. Mais non, nous agissons, je le répète, librement, bien qu’inconsciemment. Pour tout dire, et en me servant d’un exemple récent, cette sorte de patriotisme local qui, en Europe, a fait accomplir des prodiges aux Serbes et aux Bulgares, et qui tient ces petits peuples sans cesse hérissés devant les Turcs, ce patriotisme, dis-je, est ici fibre morte, et cela, ce qui est plus grave, du haut en bas de l’échelle, c’est-à-dire non-seulement dans les masses, mais même dans les classes cultivées, jusque parmi ceux qui ont mission de nous diriger et de nous gouverner. Seul, de tous nos hommes d’état contemporains, Mercier voulut une fois tenter de réveiller l’étincelle sacrée. Mal lui en prit, et vraiment il fit beau alors voir l’acharnement rageux avec lequel