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Sensations de Nouvelle-France

sonnette d’habitant[1], où il n’y a qu’un instant, à une fenêtre, et dans un claquement sec de volets, j’ai vu se montrer un groupe d’enfants joufflus, aux tignasses emmêlées, et aux yeux encore embroussaillés de sommeil. À quelques pas de là, au dehors, une femme des champs — la mère, sans doute — est en train de puiser de l’eau à un puits rustique, et les seaux viennent de remonter à la surface dans tout un grincement de chaînes rouillées et mouillées.

Le mot choc serait peut-être ici excessif, appliqué à la petite secousse intime que je reçois devant ce tableau si reposé, je dirais même si bucolique. Ce que je sens glisser en moi est plutôt comme un assoupissement de tout mon être, et cela est d’autant plus délicieux que je ne fais que sortir d’un séjour de plusieurs mois au milieu de la vie si surchauffée des États-Unis.

Au levant, par-dessous le liséré or et rose de l’aurore, fuse un premier jet de soleil, et du coup la femme au puits grandit, se transfigure, jusqu’à m’apparaître, tranchant ainsi sur ce fond de lumière, comme l’une de ces créations qu’affectionnait tant le peintre Millet. Traduite en termes plus concrets, cette sensation m’avertit que j’ai dû faire depuis la veille un fier bout de

  1. Paysan, cultivateur.