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Sensations de Nouvelle-France

« chacun pour soi » si féroce des Américains fait place ici à une certaine détente, et les yeux, se cherchent, animés d’une flamme réelle de sociabilité. Volontiers même, en un mot, et n’était un dernier reste de flegme britannique, des conversations oiseuses s’engageraient entre voisins, absolument comme dans nos omnibus de Paris.

Je ne sais en outre si je me trompe, mais il me semble que le fameux « go ahead  » de là-bas a aussi laissé échapper, en passant la frontière, un peu de sa turbulence et de son intensité. Tous des Canadiens appartiennent bien, à la vérité, à l’Amérique, par l’effort continu qui les pousse en avant, mais on dirait que leur volonté y est pour peu de chose, et qu’ils se laissent plutôt entraîner dans l’action de l’énorme force centrifuge dont l’axe est à New-York. L’air de passivité, et comme de douce inertie, répandu ici sur la plupart des physionomies, me frappe d’autant plus que je ne fais que sortir d’un commerce de plusieurs mois avec les Yankees, dont la caractéristique est bien plutôt, comme on sait, une suffisance pleine de morgue hautaine. Voici qu’un qualificatif se présente, à ce propos, pour rendre ma pensée. Me rappelant que le Canada est encore une colonie, je me suis souvenu qu’une