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bâillons ni muselières n’étoufferont jamais en France.

Ils chantaient ! À leur tête, un grand et maigre vieillard, vêtu d’une sorte de carmagnole, et de qui les cheveux, blancs comme neige, flottaient sur deux épaules un peu voûtées, mais encore fort robustes, s’avançait, très lent et menaçant, vers les sbires apostés devant la maison votale où, scrutin en main, le premier de tous, il entra…

— Père, après vous !

Il secoua sa tête léonine et dit, souverainement heureux :

— À vous autres d’abord, à vous les petits : à vous autres, fils !

Il s’approchèrent alors, les jeunes, de l’urne rédemptrice et votèrent un à un. Comme on était assez nombreux, plus de mille, le défilé dura longtemps, une heure au moins.

Chacun déposait son carré de papier en silence et puis s’effaçait en regardant « l’aîné » qui tremblait de vengeance satisfaite et d’orgueil.

Enfin, son tour arriva. Dépliant avec quelque ostentation son bulletin où les noms des futurs élus éclataient en grosses majuscules, il le remit tout ouvert au président du bureau…