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MADAME ROLAND

se voir enlever les pouvoirs publics. Inspirée par Barbaroux, elle déclare que « le Midi plein de feu, d’énergie, de courage, est prêt à se séparer pour assurer son indépendance et que, s’il n’y a point de liberté à Paris, les sages et les timides se réuniront pour établir ailleurs le siège de l’Assemblée ».

La Commune avait appris avec un beau flegme la nouvelle des massacres, mais délibéra pendant trois jours sur la question de savoir si Roland serait arrêté d’après les folles calomnies de Robespierre. Marat avait signé — sans aucun pouvoir — un mandat d’arrêt que Danton montra à Pétion, puis déchira. Le 2 septembre, déjà, deux cents hommes avaient envahi le ministère de l’Intérieur en criant qu’ils voulaient des armes pour aller à Verdun. Sans doute étaient-ils venus pour enlever Roland qui, par chance, se trouvait au ministère de la Marine où se tenait le Conseil. Intrépide, Mme Roland avait tenu tête à la horde et était arrivée à s’en débarrasser.

Lorsque les massacres furent un fait accompli, les Roland ne déclarèrent pas ouvertement leur indignation. Quelqu’un des leurs avait-il jugé nécessaire cette affreuse concession ? L’impulsion, cette fois, ne vint certainement point de Mme Roland. Ce n’était pas sa manière.

Tout Paris, dit-elle, fut témoin de ces horribles scènes exécutées par un petit nombre de bourreaux (ils n’étaient pas quinze à l’Abbaye) malgré les réquisitions faites à la Commune et au commandant des gardes nationaux[1]. Tout Paris laissa faire. Tout Paris fut maudit à mes yeux et je n’espérai plus que la Liberté s’établît parmi des lâches… froids spectateurs d’attentats que le courage de cinquante hommes armés aurait facilement empêchés.

On peut regretter qu’à ce moment Roland ne se soit pas démis avec éclat de son ministère. Quelle admirable sortie ! Marat, lui, n’avait pas perdu un instant pour rédiger un infâme papier adressé aux quatre-vingt-trois départements (où ses

  1. Nous possédons l’ordre autographe par lequel Roland commandait à Santerre de porter en masse ses gardes nationaux contre les émeutiers, ainsi que la piteuse ou hypocrite réponse du tout-puissant brasseur.