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MADAME ROLAND

la rupture fut complète. Quelle amertume au cœur de la parfaite amie !

Champagneux, témoin de ce qui se passa, dit à ce sujet :

… Bien d’autres… qui les ont caressés [les Roland] pendant leur prospérité, les ont honteusement abandonnés dès qu’ils furent sans crédit. De ce nombre il y eut Pache, ce Suisse dont Mercier a dit qu’il fut plus fatal à la France qu’une armée ennemie. Les Roland dont il avait su, à force d’hypocrisie, s’assurer la confiance, l’avaient sorti de son obscurité. Il les trahit lâchement. Hélas ! il y eut aussi Lanthenas, le plus ancien ami de Roland, celui que sa femme appelait du doux nom de frère, celui qui fut… témoin de leurs vertus publiques et privées. Eh bien ! Lanthenas n’osa pas avouer Roland à la Convention… Il alla s’asseoir au plus haut point de la Montagne et ne rougit pas de devoir à Marat une vie dont il eût été si glorieux de faire le sacrifice avec les autres proscrits de ce temps-là[1].

L’abandon dans un moment pareil, c’était une trahison. Bosc, qui avait affecté une discrétion excessive pendant le premier ministère et résisté aux inlassables appels de Mme Roland, se précipita chez elle et retrouva sa tendresse dans toute sa spontanéité et sa fraîcheur. Outré de l’ingratitude de Lanthenas, il témoigna d’un attachement si inviolable que Mme Roland en éprouva un réconfort délicieux. Ses amis avaient tout pouvoir sur sa sensibilité et même lorsqu’elle écrit à Bancal le 5 septembre 1792 un billet haletant où elle dit : « Nous sommes sous le couteau de Robespierre et de Marat », en vraie femme elle termine par une effusion du cœur :

Adieu, dit-elle. Je n’ai pas le temps de vivre, mais j’ai toujours celui d’aimer.

Elle n’est pas si cornélienne que Sainte-Beuve croit.

Admirons la force et la constance de son caractère, mais n’oublions pas que le charme avoué par tous ceux qui la con-

  1. En effet, quand la Convention, sous la pression des baïonnettes, livra les Girondins à Robespierre, Lanthenas, honte suprême, fut sauvé par Marat qui s’excusa de tant de condescendance en disant que Lanthenas n’était qu’un « pauvre d’esprit ».