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LA RÉVOLUTION

part par la hardiesse grandissante de Clubs d’ailleurs sans mandat.

Les Girondins avaient reçu à l’origine une formation procédurière tout opposée comme dit Michelet, à l’esprit de la Révolution. Avocats avant d’être députés, ils étaient des gens de cabinet et de tribune bien plus que des hommes d’action et se trouvaient, par nature, bien plus portés à déclamer la révolution qu’à la faire. Il leur manquait la virilité et la résolution des Mirabeau et des Danton. Personne, parmi tous ces hommes de cœur, de talent, de courage, pour tenir bien en mains un pouvoir qui s’énervait tous les jours et que personne, du reste, ne défendait.

Roland, ministre républicain d’un roi, n’avait accepté sa mission que sous la réserve qu’un secrétaire tiendrait un registre exact des délibérations du Conseil. Dans la pratique, l’engagement ne fut guère tenu qu’une ou deux fois. Il s’aperçut que sa femme avait raison lorsqu’elle les suppliait, Servan et lui, de ne pas se fier à la feinte bonhomie de Louis XVI, lequel comptait bien, en effet, retrouver une couronne toute neuve dans une bonne défaite infligée à la France. Une fois déjà, à la fin de mai, Roland avait voulu s’expliquer avec le roi et en avait été empêché par Clavières. Mais, à la fin, il perdit patience. D’accord avec Servan qui, s’appropriant une ancienne idée de Mme Roland, venait de faire voter l’autorisation d’établir un camp de 20 000 volontaires en armes sous Paris pour défendre l’Assemblée contre la garde royale, l’étranger et les mouvements populaires, le 10 juin il écrivit au roi. Impossible de ne pas sentir qu’il était poussé par sa femme, que dans la tête de celle-ci la lettre était depuis longtemps toute faite et voulait paraître au jour[1].

Quarante-huit heures après ce coup de tête qui provoqua

  1. C’est elle aussi qui devait rédiger (le 23 novembre 1792) une lettre au prince-évêque de Rome — autrement dit le pape — en faveur de deux jeunes artistes lyonnais incarcérés par le gouvernement pontifical qui les suspectait d’attaches révolutionnaires. C’est un morceau un peu entaché de la phraséologie du temps, mais où Mme Roland montre la désinvolture d’une pensée toute affranchie. Manon Phlipon faisant la loi au roi de France et au pape de Rome était-elle exempte de tout orgueil ? C’est assez peu probable.