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LA RÉVOLUTION

pleurs. Conservez-nous cette âme énergique remplie du feu du sentiment et de la force de la raison. Je vois vos joues pâlir. Ménagez-vous au nom de la patrie !

Mais, déjà, elle s’était reprise :

— Rassurez-vous, disait-elle avec un sourire enjoué et sur un ton de rondeur. Depuis que nous sommes à la campagne, j’ai pris beaucoup de lait et son usage habituel a dissipé l’irritation que je sentais à la poitrine. Au reste, il ne faut qu’un peu de contrariétés extérieures pour rappeler ma vigueur. Je sens que si la guerre vient, je reprendrai mes forces et ma santé.

Bancal, partant pour Paris où il veut assister à la fête de la Fédération, lorsqu’il met le pied à l’étrier, est obligé de se détourner brusquement pour cacher ses larmes.

— Quand vous serez à Paris, dit la jeune femme avec sensibilité, envoyez-moi un exemplaire de la Déclaration des Droits.

Peu de jours après, étant à Lyon, elle lui écrit :

J’ai quitté aujourd’hui, au soleil levant, ma solitude et mon ami[1]. Comme il faisait bon dans les bois, doucement abandonnée aux impressions de la nature à son réveil ! J’ai beaucoup songé à vous. J’ai repassé sur une partie du chemin que nous avons fait ensemble… Vous êtes appelé à connaître tout ce qu’il y a de félicité en ce monde, car vous sentez le prix de la vertu.

Mais Bancal lui répond d’un autre ton. La jeune femme en est émue, nous le devinons. Cependant, dans une lettre admirable que Michelet aurait voulu lire à genoux, elle s’oblige à écrire qu’il ne faut pas « attacher son bonheur à des moyens faux, » et que s’il a « une espérance », elle se doit de « l’interdire ».

Et puis elle le « prêche », car elle le trouve trop disposé à prendre pour « infaillibles « les opinions qu’elle a seulement présentées comme probables. C’est lui rappeler, dit-elle, combien elle doit « user de rigueur envers elle-même ».

Témoigner à quelqu’un qu’on a tant de créance, c’est l’obliger à ne jamais se tromper. Veuillez donc me critiquer quelquefois, ajoute-t-elle. « J’ignore tout depuis trois jours. Je n’ai entendu que

  1. C’est ainsi qu’elle parle toujours de Roland.