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LA VIE CONJUGALE

plein la vendange et qui sentent leur fruit… Nous avons une Sévigné de la bourgeoisie et, mieux que cela, une Sévigné-George Sand. »

Mais, dans son coin campagnard, elle ne s’intéresse pas qu’aux fruits de la terre. Elle observe aussi les humains et leur offre un secours fraternel.

On s’étonne et on s’attendrit quelquefois, dit-elle, aux descriptions de la vie dure et sauvage de tant de peuples éloignés, sans réfléchir que nos paysans, pour la plupart, sont misérables cent fois plus que les Caraïbes, les Groënlandais et les Hottentots. Aussi la mort semble-t-elle un soulagement et à celui qui expire et à ceux qui l’entourent… Ces gens-là souffrent des mois entiers sans discontinuer leur travail… C’est une belle école… que le spectacle de la mort du pauvre !

Au mois de mai 1788, on voit poindre, à de certains signes, une évolution qui, s’étant faite dans la lenteur et l’obscurité, semble du premier coup atteindre au paroxysme.

Soudain, Mme Roland écrit à Bosc pour lui demander avec un intérêt insolite qui est ce M. Carra[1], auteur de la brochure intitulée : M. de Calonne tout entier.

Un autre jour elle s’écrie à l’improviste : « Peut-on parler de ses misères particulières quand il y en a de publiques ? » Le Parlement avait engagé la lutte contre Loménie de Brienne et Calonne, effondré, était sur le point de rendre sa place de Contrôleur Général à Necker. La Révolution approchait. Sans la moindre réserve, les Roland proclamaient leur indépendance et le vide commençait à se faire autour d’eux.

Le 26 août 1788, étant au Clos, Mme Roland écrit à Bosc : « Vous, Lanthenas, et de Lyon, vous nous donnez de terribles nouvelles. C’est le feu, c’est l’enfer de partout. »

Brusquement, le ton de la correspondance est entièrement nouveau. La politique et les préoccupations de justice sociale dominent. La cueillette des fruits ne vient qu’après. La pensée de Mme Roland s’attache avec une ardeur fixe aux événements

  1. Carra fut, dans la suite, député à la Convention.