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MADAME ROLAND

contre le monde des hauts fonctionnaires, ce n’était que pour réclamer des changements de personnes. La théorie des gouvernements n’intéressait guère le mari et la femme qu’au point de vue abstrait et livresque.

Cependant, de même qu’ils avaient voulu connaître l’Angleterre, « terre de la liberté », ils tenaient aussi à voir la Suisse dont ils admiraient le régime fédéral — d’après ce que leur en avait appris le livre du Genevois Delorme.

Revenus de voyage, les Roland s’installèrent au Clos dont ils étaient maintenant propriétaires à la suite d’un arrangement de famille.

Depuis un certain temps quelque chose de nouveau se remarquait dans la jeune femme. La campagne semblait la mettre dans son vrai jour. Elle s’y épanouissait. Elle était moins cérébrale. Elle s’y découvrait en même temps le sens de la poésie domestique et un goût confirmé pour la vie des champs. Bêtes et gens, elle mettait tout en branle et se délectait à commander une maisonnée en action. C’est ainsi que pour la première fois l’on pût voir se manifester dans une de ses tendances maîtresses, ce génie impulsif qui, deux ou trois ans plus tard, fera de la dame du Clos un chef de parti. Écoutez-la parler :

Je fais des poires tapées qui seront délicieuses ; nous séchons des raisins et des pommes ; on fait des lessives, on travaille au linge ; on déjeune avec du vin blanc, on se couche sur l’herbe pour le cuver ; on suit les vendangeurs ; on se repose au bois ou dans les prés ; on abat les noix ; on a cueilli tous les fruits d’hiver, on les étend dans les greniers.

Et ailleurs :

Je compte faire la veillée avec nos gens. Je coudrai tandis qu’ils casseront les noix.

Sainte-Beuve, qui admirait beaucoup Mme Roland, disait qu’il fallait remarquer en elle l’épistolière d’avant 89 et qu’il avait même un faible pour elle : « Elle a des gaietés, des élans, des entrains à ravir, quand elle parle de la vie des champs, dit-il. … Elle a des débuts de lettres d’automne qui respirent en