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MADAME ROLAND

sonnes ; leur ton bavard, dissertant toujours, expliquant, définissant tout, arguant, tranchant, décidant sans cesse, les fait détester de tout le monde. Elles sont la fable de la ville et, si j’avais à redouter quelque chose, ce serait leur curiosité et leur langue !

Quelle malveillance ! M. de la Platière aime autant couper toute relation avec des « personnes » qui peuvent, à bon droit, douter de sa fameuse rigueur.

En fait de documents originaux, il ne nous reste plus que la correspondance conjugale et amicale, ou du moins ce qui en a été conservé. Roland était obligé à de fréquentes absences professionnelles et sa femme, qui avait pour lui l’empressement de l’amie la plus exacte et la plus dévouée, lui écrivait à chaque ordinaire.

Le nouveau ménage passa toute sa première année à Paris, rue Saint-Jacques, en face Saint-Yves, à l’hôtel de Lyon, où, moitié par économie, moitié par sollicitude pour son mari qui souffrait probablement d’une maladie de foie, la jeune femme faisait elle-même la cuisine. Roland, retenu par les Intendants du Commerce qui avaient entrepris une nouvelle réglementation des manufactures, travaillait à ses Descriptions de quelques arts et corrigeait les Lettres d’Italie.

Il me fit son copiste et son correcteur d’épreuves, écrivit-elle dans les Mémoires, non sans une nuance de rancune. Je remplissais la tâche avec une humilité dont je ne puis m’empêcher de rire… mais elle coulait de mon cœur. Je respectais si franchement mon mari que je supposais aisément qu’il voyait mieux que moi et j’avais tant de crainte d’une ombre sur son visage, il tenait si bien à ses opinions, que je n’ai acquis qu’après assez longtemps la confiance de le contredire.

Dans une mansarde de l’hôtel de Lyon, au-dessus des Roland, habitait un étudiant en médecine nommé François Lanthenas. Roland, qui l’avait connu en Italie, en fit bientôt le familier du ménage. Mme de la Platière, toujours prête à adopter les vues de son mari, s’intéressa tout de suite chaleureusement à ce garçon mélancolique et doux, grand disciple de Jean-Jacques. Le calme et la fermeté caractérisèrent l’affection qui