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MADAME ROLAND

Roland, qui refuse de venir à Paris, en arrive à lui écrire de telles lettres qu’elle lui rend sa parole et se réfugie avec toutes les larmes de l’amour saignant, dans une amitié opportuniste.

Roland, qui est un grand travailleur, s’attelle à des besognes écrasantes pour dompter une souffrance qu’il n’avoue pas :

Je travaille comme un malheureux. Je ne sors point de cinq et six jours de la semaine. Je passe des nuits entières sans dormir.

Par habileté, elle tâche également de lui faire croire qu’elle n’est plus toute à sa douleur. Un jour elle a reçu une demande en mariage fort honorable. Une autre fois on lui a proposé une place à la cour, mais comme il s’agit d’un « établissement qui n’a de fondement qu’un caprice de la reine… elle ne risquera pas de se déranger pour une situation qui, tout bien compté, serait excellente pour quiconque joindrait à une âme commune, un esprit souple et rusé ».

Qui sait ce qu’eût changé dans les événements publics la présence à Versailles d’une Manon Phlipon, exerçant son influence sur Marie-Antoinette, l’instruisant de la marche des idées et — pourquoi pas ? — portant peut-être la lumière dans une inconscience que personne n’avait jamais tenté d’éclairer[1].

Mais la jeune fille ne s’attarde à aucun rêve. C’est son propre de mettre du charme dans la raison, et d’ailleurs elle suit une idée fixe.

Elle se décide à quitter son père ; non qu’elle ait pour accomplir ce coup d’État des motifs nouveaux, mais elle a parfaitement compris que, si son seul espoir est dans une entrevue avec Roland, Roland est buté et ne viendra jamais chez Phlipon.

Le 7 novembre 1779, ayant emprunté à Sophie l’argent nécessaire au déménagement puis donné à son père les petites

  1. Marie Lekzinska était autrement clairvoyante, lorsque, bien des années auparavant, elle écrivait à son père, le roi Stanislas :

    « C’est une sotte chose que d’être reine. Hélas ! pour peu que les choses continuent à aller comme elles vont, on nous dépouillera bientôt de cette incommodité ! »